• La cause des enfants

    LA CAUSE DES ENFANTS - FRANCOISE DOLTO

    La cause des enfantsSur le chemin de l’école, les petits villageois gardaient une certaine part d’initiative, ils faisaient des rencontres, inventaient des niches et des jeux. Maintenant, le ramassage scolaire les prive de tout contact avec la nature et la vie des adultes. Le trajet se réduit d’une navette de porte à porte. Plus de détours, de rencontres en chemin. L’enfant-paquet n’a plus le loisir d’observer, de muser. 

    - Des instituteurs, lors d’un colloque récent sur les échecs scolaires, ont constaté qu’ils réussissaient mieux à capter l’attention de leurs élèves en milieu rural qu’en milieu urbain. Ils ont remarqué que c’est encore dans les villages où il n’y a pas de ramassage scolaire organisé que le degré de concentration en classe est le meilleur. Le trajet à pied vers l’école permet aux enfants de voir le monde qui existe : c’est un monde de froid, de chaud, de vent, de neige, de pluie : il y a le sol qu’on sent, il est très dur, ou boueux, ou sec, sans compter les oiseaux, les bruits de la nature, les ruisseaux, les animaux, etc.  En campagne, les enfants, quand ils arrivent en classe, sont fatigués physiquement, mais ils restent disponibles intellectuellement et veulent progresser socialement, et pour ce faire, travailleront plus. 
    - C’est d’ailleurs la même chose pour les enfants qui «font» leur année scolaire pendant le mois de classe de neige. Les professeurs obtiennent d’excellents résultats en général. Les élèves font une expérience de leurs corps à l’extérieur, ils ont un espace où ils se sentent responsables d’eux-mêmes, et de ce fait, quand ils rentrent en classe, leur esprit est très attentif par ce que tout leur besoin de motricité a été employé.

    Rentré à la maison, l’élève externe est collé devant le poste de télévision. Au moins, pendant qu’il est hypnotisé par l’image, il ne dérange pas. Le petit écran est une fenêtre ouverte sur l’ailleurs, sur le monde extérieur à l’espace clos où on le tient claquemuré. Cette bouche qui vomit une bouillie d’images et d’informations peut impunément choquer l’enfant à qui on n’a plus le temps d’expliquer les choses. Il est soumis à un bombardement quantitatif, il ne sélectionne pas et les parents n’ont pas le temps de le faire avec lui.

     
    Nous voulons donc que nos enfants aient la sécurité. Soit. Mais la sécurité pour quoi faire ?… Si le prix de la sécurité, c’est de n’avoir plus d’imagination, plus de créativité, je crois que la sécurité est un besoin primordial, mais il n’en faut pas trop. Trop de sécurité étête le désir et le risque qui est nécessaire pour se sentir à chaque instant « vivant », « mis en question ».  
    A notre époque, au lieu d’initier l’enfant à la sécurité par une parole claire sur la manipulation de tous les objets, on le met à l'abri en le parquant. 
    En fait, l’enfant, bien plus jeune qu’on ne croit, est tout aussi capable qu’eux… Mais à condition qu’ils le mettent en confiance, lui enseignent la technologie de leur savoir-faire, et fassent comprendre et intégrer la réalité des choses auxquelles eux-mêmes, en vérité, sont confrontés, enseignant le pourquoi des risques et des dangers. L’adulte qui aura expliqué auparavant que le danger serait le même pour lui que pour l’enfant s’il s’y prenait de la même façon dont l’enfant s’y est pris ne l’humilie pas et ne le culpabilise pas.
    C’est cela, éduquer un enfant : c’est l’informer par anticipation de ce que son expérience va lui prouver. Et de cette façon, il sait qu’il ne doit pas faire tel geste, non pas qu’on le lui ait défendu, mais parce que c’est imprudent, par la nature des choses, par les lois universelles, et aussi par son manque d’expérience.

     On punit, on gronde, on frappe parfois au moment où la conversation serait d’une valeur inégalable. La prochaine fois qu’il se mettra dans cette situation, il aura de nouveau la même difficulté à éviter l’incident, puisque le risque n’a pas été intellectualisé par lui et qu’il n’est pas considéré comme étant capable d’assurer sa sécurité.

     L’enfant doit découvrir lui-même qu’il sera moins exposé s’il s’associe à plusieurs camarades ; s’il se fait des amis. L’intérêt vital de l’être humain est de développer l’entraide, la relation sociale. 
    Si quand l’enfant a risqué quelque chose, on en parle avec lui sans le gronder, il est immunisé pour la prochaine fois.  Si on engage un enfant dans un tournage, une séance de photos, une série de tests, il est probable que le trouble sera sensiblement compensé par une explication circonstanciée : le prévenir qu’on va l’observer pendant qu’il travaille, joue et mange, mais aussi lui dire à qui, à quoi sert cette expérience.

     Dans un monde de surplus, de pléthore de biens matériels mal répartis, le seul bien unique, c’est justement l’amour entre les êtres.

     La jeunesse dérange parce qu’elle porte à remettre en question un certain nombre de valeurs reçues et le système. Mais en plus, c’est très épuisant d’être à son écoute. C’est peut-être la clé du véritable et seul changement, et que personne ne veut. Ce système, qui réduit l’éducation à la transmission du savoir, est remis en question, devant la proportion des échecs scolaires. Le phénomène « masse », augmentation de la population scolaire, n’explique pas à lui seul, l’inadéquation du système, le désintérêt des élèves : l’école en France dans le monde actuel ne prépare pas à la vie d’adulte.

    Le sort qui est réservé aux enfants dépend de l’attitude des adultes. La cause des enfants ne sera pas sérieusement défendue tant que ne sera pas diagnostiquer le refus inconscient qui entraîne toute société à ne pas vouloir traiter l’enfant comme une personne, dès sa naissance, vis-à-vis de qui chacun se comporte comme il aimerait qu’autrui le fasse à son égard.

    Chaque fois qu’on veut bien considérer sa créativité, on attend de lui quelque production artistique ou scientifique, s’il cesse d’être traité en innocent futile, il est le nain intelligent, le petit adulte, l’enfant prodige. Sa créativité n‘est reconnue que si elle profite au monde des adultes. Les 10 ou 12 premières années de la vie correspondent au plein épanouissement de la spontanéité. L’enfant est capable d’une invention très diverse, d’un jaillissement perpétuel dans sa vie quotidienne, dans son langage. 

    A quoi sert l’enfance si elle est autre chose qu’un passage délicat et nécessaire, si elle n’est pas seulement un temps d’initiation et d’apprentissage ?  Pourquoi est-ce que cela paraît subversif de dire que les parents n’ont aucun droit sur leurs enfants ? A leur égard, ils n’ont que des devoirs, alors que leurs enfants n’ont vis-à-vis d’eux que des droits, jusqu’à leur majorité. 
    Pourquoi est-ce que cela paraît subversif de dire que tout adulte doit accueillir tout être humain dès sa naissance comme il aimerait lui-même être accueilli ?   L’enfant a l’intelligence de la vérité, en tout cas de la sincérité des échanges affectifs. Si un adulte agresse physiquement un enfant, c’est qu’il est sans parole à son égard ; il ne le considère pas comme humain. 
    L’homme à sa naissance est déjà lui-même, entièrement, mais sous une forme où tout est en advenir. Les choses se réaliseront petit à petit, s’exprimeront plus tard, selon ses rencontres formatrices.   Mais tout est là, et il mérite d’être respecté au même titre que s’il avait 50 ans d’expérience, d’autant plus que les années peuvent dégrader et abîmer les richesses d’origine.  
    Les adultes refoulent en eux l’enfant, alors qu’ils visent à ce que l’enfant se comporte comme ils le veulent. Ce sens éducatif est faux. Il vise à faire se répéter une société pour adultes, c’est-à-dire amputée des forces inventives, créatives, audacieuses et poétiques de l’enfance et de la jeunesse, ferment de renouveau des sociétés. 
    Singulière espèce qui, à l’âge adulte, ne veut pas évoluer, par crainte de la mort et qui a peur instinctivement de la vie. Il y a tout un cycle d’épreuves à traverser avant de pouvoir véritablement épanouir, libérer ce que chacun a d’unique, de spécifique, c’est-à-dire de singulier à chacun de nous. 
    Si un enfant n’est pas inscrit dans une crèche, presque avant de naître, il ne pourra pas y avoir une place. Tout est fait pour ne pas le laisser être. Les enfants entendent dire précocement : « Il n’y aura pas de place pour toi, c’est trop tard ». Et en plus « Il n’y aura pas de travail pour tout le monde ». On cultive l’angoisse qui devient la base de l’éducation. Elle est à l’origine de tant de dérèglements adolescents. 
    Il n’est pas bon que l’enfant, sous prétexte de le laisser s’épanouir librement, ne rencontre jamais de résistance ; il faut qu’il rencontre d’autres actes de désir, celui des autres et correspondant à d’autres âges que le sien. Si on cédait tout à l’enfant, on annulerait complètement ses pouvoirs créatifs qui sont la recherche ardente de satisfaire un désir jamais satisfaisable et qui, en ce qu’il est satisfait, se détourne en cela du moins de l’objet et se satisfait d’une autre façon. 
    Il est extrêmement fallacieux de considérer les humains en période d’enfance comme un monde à part. Les enfermer ensemble dans un supposé cercle magique est stérilisant. Le rôle de l'adulte est de susciter et d’aider l’enfant à s’insérer dans la société dont il est un élément vivant nécessaire, durant le temps qu’il est encore dans sa famille. Pour soutenir son développement, il faut le considérer dans son advenir et faire confiance à l’adulte qu’il vise à devenir. 
    Ballottés entre ces deux traitements qui sont tous les deux abusifs : le regard attendri sur leur vert paradis : « profitez-en comme nous en avons joui à vos âges » ; ou bien le doigt tendu, corrections à l’appui, vers un modèle à imiter. Dans les deux attitudes, le conformisme est réducteur. Il occulte la vérité : l’enfant qui vient au monde devrait nous rappeler que l’être humain est un être qui vient d’ailleurs et que chacun naît pour apporter à son temps quelque chose  de nouveau.

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